Lois de Régulation des Géants du Web, les MAMAA

par | Juin 1, 2022

Les géants du web ont pu donner libre cours à leur esprit d’initiative depuis 1998, lorsque Google a émergée. Peut-être un peu trop. Partout dans le monde, des lois de régulation des géants du Web, les MAMAA, émergent. En effet, ces géants du web ignorent les lois nationales en matière de copyright, de diffusion de contenu haineux, de protection de la vie privée, de droits des consommateurs et des enfants, ou de droit de la concurrence.

En attendant que les gouvernements s’attaquent, à leur rythme, à réguler les géants du Web, nos ateliers et conférences pour élèves, parents, enseignants et tous adultes en citoyenneté numérique sont essentiels, pour nous guider dans le World Wild Web qu’est Internet et le monde numérique aujourd’hui. Les adultes de plus de 25 ans n’ont en effet pas grandi avec les outils numériques qui régissent nos loisirs et vies. Les enfants et adolescents, eux, utilisent ces nouveaux outils sans intervention et sans protection des adultes responsables.

Regardons les cas de régulation des plateformes des géants du web par ordre chronologique ci-dessous. Cliquez sur les noms des pays ou régions pour y accéder directement ci-dessous.

  • en France et en Australie du coté de la rémunération des acteurs de la presse,
  • puis au niveau de l’Europe, avec la loi RGPD de 2016, puis deux lois très larges de 2022 régulant le contenu et le commerce sur les plateformes géantes, le DSA et DMA,
  • au Canada avec les projets de lois fédérales C-11 et C-18 axées sur la protection de la presse et culture canadienne et la loi 64 autour de la vie privée en ligne au Québec.
  • enfin, aux Etats-Unis avec les projets de lois fédérales S-2333, le “American Data and Privacy Act”, le “Kids Online Safety Act” et le ” American Innovation and Choice Online Act” de 2022 et les lois étatiques comme la loi CCPA de Californie.

Le nouvel acronyme pour ces géants du web en 2021 est MAMAA, pour Meta (ex Facebook), Amazon, Microsoft, Apple, Alphabet (ex Google). Netflix, qui figurait dans le peloton de tête, a perdu sa place. Remarquez la tendance à changer de nom de ces géants, lorsqu’ils souhaitent évoluer par rapport à leur produit d’origine.

Seul souci dans ces efforts de régulation des acteurs du numérique: les éditeurs de jeux vidéo et de plateformes liées comme Discord et Roblox, sont, eux relativement libres d’enfreindre les lois sur la publicité et le jeu d’argent sans être inquiétés.

En France: La Loi du 24 juillet 2019 sur les Droits Voisins de la Presse

Loi française de régulation des géants du web, les MAMAA sur les droits voisins

La France fut le premier pays à transposer le « droit voisin » instauré par une directive européenne sur le droit d’auteur adoptée le 26 mars : mardi 23 juillet 2019, les députés ont voté, par 81 voix contre une, la proposition de loi donnant à la presse le droit de négocier avec les plates-formes comme Google, Facebook ou Twitter une rémunération pour l’utilisation d’extraits d’articles et de vidéos. « C’est un record de vitesse », se félicite Pierre Louette, PDG du groupe Les Echos-Le Parisien et animateur d’un groupe de travail sur le droit voisin au sein de l’Alliance de la presse d’information générale.

La Loi française de 2019 a t-elle donné des résultats pour la presse?

A la suite de cette loi, en novembre 2021, Google a conclu un accord avec l’Agence France-Presse pour payer pendant cinq ans pour utiliser ses contenus en ligne. Il s’agit du premier partenariat conclu par une agence de presse au titre des « droits voisins ».

L’accord « couvre toute l’UE [Union européenne], dans toutes les langues de l’AFP, y compris dans les pays qui n’ont pas transposé la directive », s’est réjoui, mercredi 17 novembre, le PDG de l’Agence France-Presse, Fabrice Fries, qui a qualifié de « pionnier » cet accord négocié depuis dix-huit mois. L’AFP produit et diffuse des contenus multimédias dans six langues auprès de ses clients en France et dans le monde.

Par contre, l’accord avec Google doit être complété « très prochainement » par « un programme portant sur la lutte contre la désinformation », ont affirmé les deux entreprises dans un communiqué commun. L’AFP proposera notamment des formations au fact-checking.

Dans son message aux salariés, Fabrice Fries a ajouté que Google allait « ainsi devenir un des tout premiers clients de l’agence, aux côtés de Facebook ». Le groupe américain Meta, propriétaire du réseau social, rémunère plus de 80 médias dans le monde, dont l’AFP, au titre d’un programme de vérification des contenus.

Tout n’est pas simple pour autant. Après avoir d’abord rechigné à rémunérer les journaux français pour l’utilisation de leurs contenus, Google a fini par signer en début d’année un accord-cadre, suspendu depuis, avec une partie de la presse en France pour une durée de trois ans. Saisie par les éditeurs de presse, l’Autorité française de la concurrence lui a infligé mi-juillet une amende de 500 millions d’euros pour n’avoir pas négocié ” de bonne foi”. Google a fait appel, et poursuit parallèlement les négociations avec certains groupements de médias français.

Facebook annonce aussi des accords au titre des droits voisins

De son côté, Facebook a annoncé en octobre 2021 plusieurs accords, dont un accord-cadre avec l’Alliance pour la presse d’information générale qui prévoit de rémunérer pendant deux ans les éditeurs français de presse quotidienne pour l’utilisation de leurs contenus. Cet accord prévoit une participation de ces éditeurs à Facebook News, un service consacré à l’information, déjà lancé aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, et que Facebook devait déployer en France en janvier 2022.

En Australie, loi de février 2021 sur la rémunération de la presse par les géants du web

Après des mois de vives tensions, l’Australie a réussi à trouver un terrain d’entente avec Google et Facebook. Désormais, il y a un modèle australien en matière de gestion de la question des droits voisins.

Le parlement australien a adopté le 25 février 2021, la loi contraignant les géants du numérique à rémunérer les médias pour la reprise de leurs contenus d’information.

Le texte fut adopté deux jours après la conclusion d’un accord avec Facebook qui prévoyait d’investir au moins 1 milliard de dollars dans les contenus d’actualité sur les trois années à venir. Google avait également signé un accord similaire. Toutefois, les deux géants du web s’étaient d’abord opposés à la loi.

Le gouvernement a déclaré que la loi garantirait que les médias « soient équitablement rémunérés pour le contenu qu’ils génèrent, contribuant ainsi à faire vivre le journalisme d’intérêt public en Australie ».

C’est cette loi australienne qui a inspiré le gouvernement canadien pour la loi C-18.

En Europe: Le RGPD en 2018, puis le DMA et DSA de 2022 régulent les MAMAA

L’Union Européenne a tiré la première dans l’Occident pour réguler les géants du web, avec sa loi RGPD ( Réglementation Générale de la Protection des Données), passée en avril 2016 et mise en oeuvre depuis mai 2018. Cette loi explique les pop-ups que nous constatons sur les sites que nous visitons depuis, nous demandant (ou pas, selon la région) notre accord à être traqués par les fichiers espions joliment nommés “cookies”.

L’UE a poursuivi en 2022 en passant deux lois majeures de régulation des géants du web, les MAMAA: le DMA (Digital Market Act) et DSA (Digital Services Act). Elles visent toutes deux à réguler les excès des géants du web au-delà de la préservation de notre vie privée d’ici 2023.

Le DSA vise à assurer en ligne les droits existants des citoyens hors ligne, au niveau des pays de l’Union Européenne.

Le DMA, lui, vise à promouvoir un espace réellement compétitif, juste et innovant pour toutes les entreprises au sein de l’Union Européenne, en s’attaquant aux actions monopolistiques engagées par les MAMAA.

Le DSA: Digital Services Act vise à assurer en ligne les droits existants des citoyens hors ligne

Loi européenne DSA de régulation des géants du web, les MAMAA

Le DSA vise à rétablir un équilibre juridique entre Internet et le reste de nos sociétés. Pour citer Thierry Breton, le négociateur européen : ” Tout ce qui est interdit offline doit l’être online ».

Résumé de la loi DSA (Digital Services Act):
– Regulation du discours de haine
– Régulation des fake news
– Régulation du contenu pédopornographique
– Transparence des algorithmes
– Régulation du ciblage publicitaire
– Interdiction de cibler des enfants
– Amendes du DSA amende allant jusqu’à 6% du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise.
– Tout(e) internaute lésé pourra saisir au nom du DSA

Voici ces mesures en détail ci-dessous.

Le DSA s’attaque au contenu illégal et à la protection des droits des utilisateurs.

Le DSA s’attaque aux contenus (haineux, pédopornographiques, terroristes…) , à la transparence des algorithmes, aux produits illicites (contrefaits ou dangereux) proposés en ligne et à la publicité. Il cherche notamment à harmoniser les législations nationales déjà en place dans les Etats membres en la matière.

Selon le rapporteur Christel Schaldemose, « les citoyens auront un meilleur contrôle sur la façon dont leurs données sont utilisées par les plateformes en ligne et les entreprises de la Big Tech ». Elle ajoute que « ces nouvelles règles garantissent aussi davantage de choix pour les utilisateurs et de nouvelles obligations pour les plateformes sur les publicités ciblées, incluant l’interdiction de cibler des mineurs et la restriction de la collecte de données à des fins de profilage ».

Le DSA liste une large variété de contenu comme illégal. Ceci concerne le discours haineux, le matériel pédopornographique, les arnaques, le partage d’images privées non consenti, l’apologie du terrorisme, la vente de contrefaçon ou de produits dangereux, ou encore la violation de copyright.

Les plateformes de e-commerce devront s’assurer que les produits vendus sont sûrs et authentiques, y compris ceux vendus par des tiers. Elles devront donc adopter des pratiques similaires à celles des plateformes de services financiers, et mener des tests aléatoires de contenu illégal.

Au-delà du contenu illégal, les très larges plateformes devront être en mesure de surveiller et de gérer tout contenu dangereux, incluant la désinformation. En outre, elles devront s’assurer que leurs interfaces ne trompent pas intentionnellement leurs utilisateurs en utilisant ce que le Parlement européen appelle des « dark patterns ».

Il s’agit d’utiliser l’interface utilisateur pour mettre en lumière certains liens ou boutons afin d’inciter l’utilisateur à cliquer dessus. Annuler un abonnement devra être tout aussi simple que s’abonner.

DSA: Transparence algorithmique et contrôle du ciblage publicitaire

Via cette loi de régulation des géants du web, l’Union européenne exige aussi l’accès aux moteurs de recommandation des plateformes pour assurer la responsabilité et la transparence des algorithmes. Trop souvent, ces algorithmes fonctionnent de manière totalement secrète. Les utilisateurs pourront également refuser que leurs données soient collectées à des fins de profilage pour la recommandation.

Le ciblage publicitaire devra aussi respecter des règles, et les utilisateurs auront davantage de contrôle sur les publicités auxquels ils sont exposés. Cibler en se basant sur des informations sensibles comme la religion, l’ethnie ou l’orientation sexuelle sera désormais prohibé.

Le ciblage publicitaire d’enfants est également interdit. Les plateformes devront mettre en place des mesures spéciales si elles sont utilisées par des mineurs.

Un point qu’il semble important de souligner est que le DSA apporte aussi des « mécanismes de réponse aux crises ». Le but est d’éviter les campagnes de désinformation en période de crise, comme nous en avons récemment connu avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la pandémie de coronavirus.

Lors de situations semblables, l’Union européenne décidera de « mesures spéciales proportionnées » d’une durée maximale de trois mois pour réduire l’impact de la désinformation. La nature de ces mesures n’est pas précisée pour l’instant…

Quelles seront les sanctions en cas d’infraction au DSA ?

Les internautes auront le droit de demander un redressement en cas de dégâts ou de pertes causés par une infraction au Digital Services Act.

Si une entreprise n’est pas en conformité, les régulateurs pourront lui infliger une amende allant jusqu’à 6% du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise. En guise d’exemple, pour une plateforme comme Meta, ceci représenterait environ 7 milliards de dollars.

Les amendes seront donc encore plus importantes que celles du RGPD, pouvant atteindre 4% du chiffre d’affaires mondial. En revanche, elles seront inférieures à celles du nouveau Digital Markets Act qui peuvent aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires ou 20% en cas de récidive.

Toutefois, les infractions répétées au DSA pourraient avoir des conséquences encore plus graves. Les entreprises pourraient être directement bannies de l’Union européenne.

Les Géants du Web ( MAMAA) sont ceux visés par le DSA et le DMA

Les mesures mises en place par le Digital Services Act sont proportionnelles à l’envergure des plateformes. Ainsi, les « plateformes très larges » sont définies comme celles ayant plus de 45 millions d’utilisateurs actifs par mois dans l’Union européenne soit l’équivalent de 10% de la population.

Ceci concerne donc les plateformes telles que Facebook, Instagram, WhatsApp, YouTube, TikTok ou Amazon. Elles seront confrontées aux règles les plus strictes, et devront assurer une modération minutieuse de leurs services. Des audits annuels seront organisés pour contrôler leurs pratiques. La loi impose aussi de permettre aux utilisateurs de signaler facilement du contenu, et de réagir rapidement à ces signalements.

Les plateformes avec moins de 45 millions d’utilisateurs actifs et les petites entreprises seront exemptées de certaines obligations induites par le DSA.

En Europe, le DMA: Digital Market Act de 2022 vise à rétablir la concurrence dans l’espace numérique

En matière de loi de régulation des géants du web (les MAMAA), le DMA établit vingt règles visant à mettre un terme aux différents abus constatés ces dernières années.

Loi européenne DMA de régulation des géants du web, les MAMAA

Résumé de la loi DMA (Digital Market Act):

  • Interdiction de transférer des données d’un service interne à l’autre ( Whatsapp- Facebook) sans accord
  • Rendre interopérables les applications de sociétés différentes ( entre WhatsApp et Signal par exemple).
  • Permettre aux clients de vérifier la diffusion publicitaire sur une plateforme
  • Interdiction de favoriser ses autres produits ( Apple store sur les iphones)
  • Amendes du DMA pouvant atteindre 10% de leurs ventes mondiales. En cas de récidive, l’amende pourra atteindre 20%.

    Par exemple, Google ne pourra plus privilégier ses propres services dans les résultats de son moteur de recherche, comme il a été accusé de le faire avec son site de ecommerce Google Shopping. Apple, elle, devra donner accès à d’autres ” stores d’applications” que son Apple store.

Cette nouvelle loi empêchera aussi Amazon d’utiliser les données générées par les vendeurs de sa plateforme pour mieux les concurrencer.

Le texte obligera également les MAMAA à demander le consentement des utilisateurs pour le référencement croisé de données en provenance de plusieurs services en ligne à des fins de profilage publicitaire. Le but est de mieux protéger les internautes.

La loi interdira l’imposition de logiciels pré-installés sur les ordinateurs et les téléphones, tels que des navigateurs web ou des applications de musique. L’utilisation de produits alternatifs sera par ailleurs simplifié.

Le Parlement européen a également réclamé l’addition d’une interopérabilité entre les services de messageries. Ceci permettra par exemple à un utilisateur de Telegram de communiquer avec un utilisateur de WhatsApp. On peut craindre que la confidentialité de ces messageries chiffrées soit affectée, mais c’est peut-être la volonté du Parlement…

En cas d’infraction, les entreprises s’exposeront à des amendes pouvant atteindre 10% de leurs ventes mondiales. En cas de récidive, l’amende pourra atteindre 20%.

Article: DSA: Un Règlement pour protéger les internautes européens

Régulation des Géants au Canada: Projets de Lois Fédérales C-11 et C-18

Depuis 2021, le Canada, sous l’impulsion de son ministre du Patrimoine, tente lui aussi de réguler les grosses plateformes, notamment coté médias comme YouTube et TikTok.

Au Canada comme aux Etats-Unis, le système fédéral fait que la régulation se fait autant, voire plus, au niveau provincial que fédéral. Son projet de réforme de la protection de la vie privée, le Consumer Privacy Protection Act (CPPA) de 2020, a échoué. Nous évoquons le rôle du Québec suite à la régulation fédérale canadienne.

Loi canadienne C11 de régulation des géants du web, les MAMAA

L’idée du projet de loi C-11 modifiant la loi sur la radiodiffusion consiste d’une part, à exiger des plateformes comme Netflix, Disney+, mais aussi YouTube ou Spotify, qu’elles financent « à leur manière, selon leur modèle d’affaires », la culture canadienne. On leur demande, d’autre part, de faciliter la découverte du contenu canadien en ligne, encore une fois sans leur dicter une méthode précise.

Cette réforme a initialement été anéantie par le Parti Conservateur et certains intellectuels du Canada anglais, comme Michael Geist, qui ont crié au risque de censure des internautes, reprenant à leur compte l’argumentaire américain sur “la liberté d’expression” absolue.

Le ministre du Patrimoine actuel, Pablo Rodriguez, dit: « Je pense que [l’opposition à ce projet de loi] est idéologique et extrêmement partisane. C’est le côté très libertarien du Parti conservateur, qui a glissé vers la droite, selon qui rien ne devait être régi, rien ne devrait être régulé. »

MISE A JOUR: Le 21 juin 2022 la loi C-11 a été passée par la chambre des députés fédérale malgré l’opposition de. Elle doit encore être examinée par le Sénat.

Le projet de loi C-18 sur les plateformes de communication en ligne, déposé en novembre 2021, propose, lui, de financer les médias d’information du Canada à l’aide des revenus des géants du Web. Il confère au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) le rôle de décider si Google et Facebook financent suffisamment la production de nouvelles dans le pays.

Le ministre a présenté les deux plus importants géants du Web, Google et Facebook, comme des entités profitant du partage des contenus de médias canadiens « sans avoir à vraiment payer pour ». Son projet de loi C-18, déposé devant le Parlement en avril 2022, « cherche à remédier à ce déséquilibre du marché » en forçant la main aux négociations entre les médias et les plateformes.

Le ministre Pablo Rodriguez se dit enthousiaste d’apposer son nom sur les trois projets de loi thématiques de l’encadrement d’Internet, qu’il qualifie de « transformationnels » pour « les générations futures ». Mais qui auront aussi, à coup sûr, leur lot de controverses lorsque les textes seront débattus au Parlement.

« Oui, Internet est magnifique, mais il y a un côté sombre à Internet. Parfois, ça requiert un rôle du gouvernement. Il faut être capable de concevoir ça. »

Régulation des Géants au Canada: Loi Provinciale Québecoise 64 de Protection de la Vie Privée en Ligne

Le Québec a été la première province canadienne à moderniser ses lois autour de la protection de la vie privée en ligne en septembre 2021. S’inspirant de la loi RGPD européenne instaurée en mai 2018, la loi 64 exige donc de toute organisation qu’elle identifie les données isolées et non isolées qu’elle possède, qu’elle détermine les vulnérabilités qui pourraient mener à leur diffusion et qu’elle mette en place des contrôles adéquats pour les protéger.

La loi 64 s’applique à toute entité ayant une présence numérique au Québec. Elle exige que chaque institution nomme un responsable institutionnel ( le DPO ou ‘Digital Privacy Officer’ dans la loi européenne RGPD) et publie son cadre de gestion des données personnelles. La loi requiert de chaque institution qu’elle mène une analyse des répercussions d’une fuite de données sur la vie privée de ses clients et qu’elle instaure un mécanisme de déclaration obligatoire de ces fuites au Commissaire à l’Accès à l’Information.

La loi 64 du Québec établit aussi des droits comme citoyen ou client et élimine l’externalisation complète des risques de gestion des données personnelles aux fournisseurs de service. Elle prévoit enfin des amendes administratives et pénales pour les institutions négligentes, similaires à celles du RGPD européen, qui peuvent aller jusqu’à 25 millions de dollars ou 4 % du chiffre d’affaires mondial d’une entreprise.

Régulation des Géants du Web aux Etats-Unis: Lois par les Etats

Les Etats-Unis, qui hébergent ces plateformes et bénéficient partiellement de leur puissance mondiale, ont mis du temps à réagir du fait de la lourdeur du système législatif fédéral américain, mais semblent en bonne voie en 2022. C’est donc au niveau des états américains que la régulation des géants du web progresse plus vite.

Plusieurs états, dont le Colorado, la Californie et la Virginie ont passé des lois autour de la protection de la vie privée en ligne, conseillés par des lanceurs d’alerte de la Silicon Valley comme Joe Toscano. Il est une des figures du film choc The Social Dilemma que nous évoquons dans cet article sur les bons films et séries famille sur la cyberculture. Ce film de 2020 a réveillé les consciences des élu(e)s américain(e)s.

La Californie, siège des MAMAA, est la plus active sur la régulation des géants du web. Suite au CCPA, sa loi sur la protection de la vie privée en ligne, elle a créé un outil de protection de la vie privée pour le consommateur, qui facilite le respect de ses droits en ligne.

Elle est, en complément, en cours de vote d’une loi de protection des enfants en ligne, le California AADC ( Age Appropriate Design Code) que nous évoquons dans cet article: Lois de protection des enfants en ligne.

Régulation des Géants du Web aux Etats-Unis: Lois Fédérales

En 2021, les sénateurs américains ont enfin lancé une offensive pour réguler les géants du web. En 2022, plusieurs lois sont toujours en cours de passage par les chambres pour réguler divers abus des géants du numérique.

  • Février 2021: Le projet de loi du Sénat 2333 vise à briser le monopole des paiements dans les magasins d’applications de Google et Apple. L’accusation portée contre les deux géants est qu’ils empêchent les développeurs d’exploiter des systèmes de paiement propriétaires pour des achats intégrés. Pour les protéger davantage, le projet de loi précise également que quiconque décide de ne pas compter sur les paiements Google et Apple ne devrait pas subir de représailles.

  • Octobre 2021: Le “American Innovation and Choice Online Act” , qui rappelle le DMA européen, veut interdire aux géants de la Tech d’abuser de leurs positions dominantes pour mettre en avant leurs produits ou services. Par exemple Google ou Amazon dans les résultats de recherche, ou Apple dans son app store.

  • Juin 2022: Le “American Data Protection and Privacy Act” (ADPPA) est proposé. Il fait suite au ” Consumer Online Privacy Act ” (COPRA) proposé en 2019, sans succès. Il contient des dispositions similaires à celles du RGPD européen mais réduit les possibilités d’action des individus, rendant ce projet de loi plus démonstratif qu’opérationnel.

On le voit, les négociations et tensions sont nombreuses autour de la régulation des MAMAA, que ce soit en matière de vie privée, de concurrence déloyale, de protection des consommateurs, de l’enfance ou de droit d’auteur de la presse. En Espagne, Google a annoncé la réouverture début 2022 de son service Google News, fermé il y a sept ans dans ce pays en réaction à l’adoption d’une loi sur la propriété intellectuelle l’obligeant à rétribuer les médias. Au Danemark, les principaux médias ont annoncé, en juin 2021, qu’ils allaient s’unir pour négocier leurs droits d’auteur avec les géants du Web.

Comme ces lois et projets plus ou moins avancés le montrent, nos ateliers et conférences pour élèves, parents, enseignants et tous adultes en citoyenneté numérique sont essentiels, pour nous guider dans le Wild West qu’est Internet et le monde numérique aujourd’hui.

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