Ecole à la maison pendant la Covid19, formation à la technopédagogie, retours des parents, avenir des manuels scolaires et applications EdTech d’apprentissage au Canada français
Tech for Good Canada a invité quatre experts franco-canadiens en pédagogie et numérique en janvier 2022, pour échanger avec Caroline Isautier sur leur vécu après deux ans d’école à la maison pendant la Covid19. La présentation des experts est ici, dans l’annonce de cet évènement.
Tout d’abord, un court résumé (en 4 minutes) de cette riche discussion:
Retrouvez sur la chaine YouTube l’intégralité de la discussion de près de deux heures sur le numérique à l’école pendant la Covid, et ci-dessous, cette discussion par sections, avec une retranscription écrite partielle.
Nouveau, en novembre 2022, écoutez ces échanges passionnants sur école et numérique Après la pandémie en format audio via le podcast (balado) de Tech for Good Canada: Derrière nos Ecrans.
Les thèmes-clé de notre discussion sur l’école à la maison pendant la Covid19 furent:
I. L’Ecole à la Maison après 2 ans de Covid19: On apprend, on n’apprend plus la technique !
II. Les Enseignants se sont adaptés coté enseignement à distance et travail individuel avec les élèves
III. Les Inégalités se sont accrues: Entre profs technophiles ou pas, et Elèves Plus ou Moins Autonomes
IV. Pour toucher les populations rurales, des micro contenus, légers en besoins de connection, sont une des clés de réussite
V. Motiver les Elèves à réviser avec des fiches et quiz, sans besoins de connection, en utilisant les techniques du coaching sportif
VI. Enseigner des Notions via Une application comme Nomad School
VII: Le Livre est-il encore utilisé et pertinent à l’Ecole ?
VIII: Proposer du Contenu Educatif Numérique à jour, Adaptatif ou Gratuit: Les approches de Grey Box et de Nomad School
IX. Adaptations Numériques: Les Enseignants Enseignent à Distance sans Camera et Créent eux mêmes le Contenu, en ligne, à la Place des Manuels Scolaires
I. L’Ecole à la Maison après 2 ans de Covid19: On apprend, on n’apprend plus la technique !
Elise Lepage, professeure d’université, évoque son expérience de parent de trois enfants scolarisés à Waterloo, Ontario ( Canada) pendant deux ans de pandémie du Covid19.
II. Les Enseignants se sont adaptés coté enseignement à distance et travail individuel avec les élèves
Alexandre Chenette, professeur et enseignant en philosophie au RECIT: J’ai moi aussi constaté beaucoup plus d’autonomie, à la fois des enseignants et de la part des élèves. Y compris à mon niveau, en tant que parent! Mes enfants savent au bout d’un moment quel était leur emploi du temps et quand aller se chercher une collation. Ce qui restait difficile pour moi était d’enseigner et de m’occuper de mes enfants en même temps!
Caroline Isautier: Est-ce-que ce changement a néanmoins requis un changement de pédagogie de la part des enseignants?
Alexandre: Oui, pour certain(e)s. Sans la pandémie, on aurait du attendre 5 à 10 ans pour pousser les enseignants à essayer des nouveaux outils. Dans certaines écoles, avoir accès au chariot informatique est encore un défi. Or, tous les élèves étaient là connectés et prêts à travailler, pas de temps perdu à lancer chacun(e) sur une tablette en début de cours.
Surtout au cours de la dernière interruption scolaire de 2 semaines, (ndlr: en janvier 2022), le fait qu’elle était courte a motivé les enseignants à se lancer, sachant qu’ils retourneraient en classe après et qu’autant tenter pendant cette courte période.
Caroline : Certains enseignants seraient-ils finalement heureux de continuer à distance ?
Alexandre: Oui, c’est une solution de rechange. L’école en présence c’est le best.
Certains étudiants universitaires aimaient vraiment ça, les cours à distance.
En recherche, on essaie des trucs, avec la caméra ouverte ou pas, et cela va contre nos préjugés sur l’enseignement à distance.
III. Ecole à la Maison: Les Inégalités se sont accrues, entre Profs Technophiles ou Pas, et Elèves Plus ou Moins Autonomes
Caroline Isautier présente Grey box Canada
Valentin Kravtchenko, dirigeant, Grey Box: On est beaucoup à la croisée d’organisations qui opèrent sur le terrain, d’organisations périphériques, comme des organismes pour la jeunesse. Eux ont vu le taux de décrochage doubler pendant la pandémie de Covid19 et l’école à la maison. Ils avaient dejà peu de ressources avant, mais la situation est pire encore.
Vous parliez de gestion de projet. Cela m’interroge sur les questions qu’ont eu à se poser les profs: comment vais-je noter ce travail? Vais-je créer un formulaire pour automatiser la correction ? Si je créée des slides, combien de temps investir pour qu’elles soient plus dynamiques ? Je suis sure qu’Alexandre ne nous dira pas forcément combien de temps il a passé à rendre ses slides attrayantes, à ajouter des transitions.
Mais c’est un investissement en temps qui finit par payer. Ca me rappelle au Quebec, a un moment on parlait des TBI, pour rendre les cours plus intéressants et interactifs. Ceux qui ont sauté sur l’occasion ou qui ont eu le temps de jouer avec ces outils là ont eu une longueur d’avance et ont peut-être partagé avec leurs collègues.
IV. EdTech Low Tech: Pour toucher les populations rurales, des micro contenus, légers en besoins de connexion, sont une des clés de réussite
Valentin Kravtchenko: Nous ce qu’on fait c’est mettre à disposition des cours gratuits en ligne comme Wikipedia, Khan Academy. On peut voir ce que les élèves font de ces cours, jusqu’où ils vont.
Au Maroc, certains cours se donnent via WhatsApp, via des micro contenus. Qu’est ce que je peux t’enseigner qui aura un impact immédiat, pas dans trois ans, parcequ’on est dans des environnements très contraints en terme de connectivité. Khan academy a appris à segmenter ses cours en micro contenus.
Par ailleurs, en tant que prof, vous êtes en concurrence avec votre étudiant qui veut aller sur Fortnite sur son téléphone. Il faut donc être tres bon.
A savoir, 50% du Canada n’a pas un accès internet de base.
A Grey box, il y a du contenu éducatif hallucinant, comment peut-on le déployer?
Utiliser Google doc requiert une bonne connexion constante, donc ce n’est pas accessible.
V. Motiver les Elèves à réviser avec des fiches et quiz, sans besoins de connexion, en utilisant les techniques du coaching sportif
Francois Firmin, Nomad Education: On fait nous aussi référence a Fortnite pour rendre l’application attrayante.
Ce qui a fait le succès de Nomad Education, qui a attiré 5 millions d’utilisateurs
en France et en Afrique. On fait une appli, pas du tout de web. Cela peut évoluer pour l’Afrique.
Une caractéristique très importante, c’est que l’application une fois téléchargée, n’a plus besoin de connexion pour fonctionner. C’est pour ça qu’on peut toucher les jeunes dans la mobilité, quand ils vont vers le lycée, n’ont pas à tirer sur leur 4G ou 5G.
On a monté un partenariat avec les CSS des Appalaches. Le but est d’utiliser les codes des jeunes, tout en suivant le programme scolaire. En revanche, pour toute la motivation, on s’est calqué sur le coaching sportif. Type de contenu basé sur quiz avec réponses expliquées.
Avec un système de push, il aura un rappel sur s’il est en phase ou en avance ou en retard.
S’il peut passer 15 mn de moins par jour sur Fortnite, c’est bien.
On est complémentaire à la classe virtuelle, même si ça peut être utilisé en classe.
Entre 13 et 17 ans, ils ont tous les mêmes envies à travers la francophonie.
VI. Enseigner des Notions via Une application comme Nomad School
Elise Lepage: La dynamique de faire passer 30 minutes sur autre chose que Fortnite, c’est mon combat, comme celui de bien des parents.
Elise Lepage: Fragmenter le contenu est très utile pour l’utilisateur.
Même du point de vue du créateur, c’est plus simple, et je réagis là sans doute plus en tant que professeure. Lorsqu’un contenu est segmenté, c’est moins impressionnant à mettre à jour.
Au lieu de changer tout un manuel, on peut changer une seule page à la fois, c’est fabuleux.
J’ai beaucoup appris de l’atelier de la dernière fois et j’essaie de mettre en oeuvre beaucoup des pratiques.
La façon dont le message est délivré est importante, autant que le contenu.
François Firmin: On ne colle pas le contenu français au Québec car il y a souvent des terminologies différentes. Par exemple la fonction affine en maths.
On a travaillé avec les centres de service scolaires un peu débordés.
En France, l’outil sur le store et les jeunes l’utilisent, sans payer.
Au Quebec, ça passe par les écoles qui peuvent le déployer auprès de leurs élèves.
VII: Le Livre est-il encore utilisé et pertinent à l’Ecole ?
Valentin: Je suis encore étudiant a l’université et je n’ai presque plus aucun recueil à acheter. On paie déjà l’université pour accéder aux banques de données. Donc les professeurs mettent à disposition les textes.
Il existe encore la vieille tradition d’acheter des livres, ou le professeur propose un PDF du livre accessible que sur 3 lecteurs maintenant que tout est à distance.
Ca ressemble à quoi cette transition numérique là?
Alexandre: Les manuels sont encore présents mais il y a un code de connexion, avec un peu d’activités.
Mais on est a des années lumières de ce que François propose.
Francois: En France, il y a deux gros groupes d’édition, Hachette et Editis, qui freinent au maximum le numérique dans les écoles. Il y a de tels enjeux que de se passer des manuels scolaires. Il n’y a pas de logique à racheter des manuels.
C’est un enjeu de survie pour eux, ça risque d’être dramatique si on passe au tout numérique. Il y a opposition entre numérique et enjeux économiques.
Caroline: Vous avez travaillé avec le CNED pour convertir leur enseignement sous format de Nomad Education.
Francois: Oui ils vont le faire des cet été sur des classes de lycée, en marque blanche.
On est constamment sollicités par Editis pour fourguer leur contenu mais on est à la fois fournisseur de contenu et éditeur. De toute façon j’étais éditeur classique avant de faire Nomad Education. Ils ont un modèle qui les fait tourner: le marché du scolaire et parascolaire en France.
Alexandre: Il y a des intérêts économiques puissants.
Ils ont refait leur cours d’histoire et ont du les réimprimer, à grand frais. Il y a donc une ouverture à adopter des nouveaux modèles de diffusion du savoir. J’ai l’impression que ça renforce l’idée de passer au numérique. Le fait que nos activités soient libres de droit.
Francois: Il y a encore un enjeu de fiabilité des contenus en ligne par rapport à dans un livre.
Et nous en tant que parents on est pour que nos enfants lisent des vrais livres, c’est toute une tradition.
VIII: Proposer du Contenu Educatif Numérique A jour, Adaptatif ou Gratuit: Les approches de Grey Box et de Nomad School
Garder le livre mais comme objet sacré, pas de travail au quotidien.
Valentin: On a sacralisé le CD. On se plaignait aussi des tableaux avec la craie.
Je vois un souci du livre en terme d’accessibilité n’est pas présente partout. Un manuel à $100 cela n’est pas accessible à tous.
Grey box met tout Wikipedia en français, pour $5, ça devient accessible partout dans le monde.
Comment je mets à jour cela?
Par exemple je vois les cartes du Monde dans les classes, avec l’URSS. Si le contenu en classe date encore des années 90, il n’est plus pertinent.
Devrait-on revenir au média imprimé ? N’est ce pas intéressant de savoir qui lit telle partie de mon livre pour pouvoir le réécrire?
Très difficile une fois qu’on y a gouté.
Caroline : Le contenu de Grey box colle t-il vraiment au contenu scolaire québécois?
Valentin: On est partenaires avec une organisation locale et on met sur Grey box ce à quoi ils ont accès en plus des contenus libres de droit.
En passant, le contenu québécois est très populaire en Afrique de l’Ouest. Ils peuvent accéder au contenu de France ou du Québec.
François: On développe un modele adaptif. On a calculé qu’on avait 20 000 réponses en moyenne par question de l’appli et c’est à partir de là qu’on a travaillé sur un outil de machine learning pour aller dans la finesse et aller dans les sujets les plus recherchés par les utilisateurs.
On a d’abord construit des arbres de connaissance pour toute option. Par exemple la notion de triangle. L’appli pose questions au secondaire 3, et si elle voit qu’il ne comprend pas, l’appli va lui proposer des cours de l’année précédente pour clarifier des notions. Cela ne remplacera pas un professeur mais permet de traiter des centaines de milliers de cas. Permet de toucher les jeunes en rupture.
Ils estiment qu’on ne s’occupe pas d’eux.
Caroline : Ou que l’interface derrière une caméra n’est pas stimulant pour eux. Quand on est habituée aux sollicitations constantes de Fortnite, comment rester derrière une caméra à écouter pendant 3/4 d’heures?
Francois: Même les vidéos durent 3 minutes
IX. Adaptations Numériques: Les Enseignants Enseignent à Distance sans Camera et Créent eux mêmes le Contenu, en ligne, à la Place des Manuels Scolaires
Alexandre: Même si un professeur parle pendant tout le cours en classe, les élèves vont s’emmerder. On a testé l’école à distance avec des collègues. On a enseigné à deux professeurs. On a testé d’enseigner avec le prof sans sa caméra, combien de temps ça prendrait avant que les élèves réagissent. Or, personne n’a réagi de tout le cours. C’est de loin le cours où on a eu le plus d’interaction.
Evidemment si tu pars de ton Powerpoint et raconte tes affaires…
Il y a plein d’élèves qui prennent pas la parole par timidité par rapport a la caméra. Finalement sans caméra ça devient une conversation téléphonique, beaucoup plus accessible pour certains. Ca m’a cloué de constater cela.
On a aussi vu autre chose, qu’en classe tu regardes souvent en direction de l’enseignant(e), tu te laisses distraire autour, mais sur Teams, tu vois tout le monde derrière son écran en face de toi, leur intérieur.
Évidemment la caméra est utile pour les indices non verbaux et c’est ça qui manque.
Caroline: Pour avoir un cours aussi interactif que ce dont tu parles, ça demande vraiment de repenser de façon fondamentale sa façon d’enseigner.
Alex: Ça fait un couple d’années que les profs ont repensé leur façon d’enseigner. En Europe ça ressemble encore à comment nous on était à l’école. Il y a beaucoup de capillarité, d’échange entre profs, mais l’interactivité est quand même assez présente.
Ils ont aussi vu en printemps 2020 avec l’école à la maison que de faire le cours en frontal pendant 40 minutes, ça ne marche pas. Plus ils testent plus ils évoluent.
Caroline: Elise, as tu des choses à ajouter?
Elise: J’abonde dans le sens de ce qui est dit. Je peux apporter mon expérience universitaire au sujet des manuels et des murs financiers derrière lesquels ils sont.
Il y a un mouvement de dégoût des profs vis à vis de cela. La c’est pire car les étudiants ont accès au module en ligne et le perdent après. Il est encore plus cher que le manuel.
On a du temps pour développer cela; Il n’y a plus de core stack. Je créé un manuel sur eCampus Ontario. C’est la classe inversée dont parlait Alex.
Ils lisent le cours et le rendez vous en ligne n’est la que pour discuter. Les contenus sont gratuits.
Valentin: Prenons l’exemple de l’URSS toujours sur certaines cartes. Les manuels de Français en Ontario étaient américains et n’étaient pas adaptés a la réalité québécoise. C’était le combat de tous les enseignants de français au Canada. La poussée a été très facile, de pousser à créer nos exercices adaptés à la réalité locale.
Exemple des break out rooms. Tout le monde n’est pas extraverti pour animer des BO rooms. Diviser sa classe de 30 et 4 groupes, c’est pas équivalent à faire en réalité. Peut-être que tu as la chance d’avoir une classe libre a coté , mais c’est rare.
Avec Zoom c’est facile de mettre en break out room.
Caroline: Mais il faut surveiller ?
Alexandre :Tu te promènes, tu surveilles…
Ça dépend des élèves, surtout. Si tu leur donnes une tache a faire, ils ne niaisent moins qu’en classe.
Si tu as un étudiant très à l’aise, tu lui donnes un rôle symbolique, tu le mets en charge.
Pour adopter les bons réflexes numériques dans votre école:
Découvrez nos ateliers pour élèves en citoyenneté et santé mentale à l’ère numérique, nos conférences en parentalité numérique et nos formations au numérique en éducation pour enseignants sous peu.
Pour compléter :
Retrouvez un compte-rendu de discussion précédente sur le numérique à l’école, en milieu de pandémie de Covid19 (mai 2021), ici.